Articles 73 et 74 : les questions que tout le monde se pose …

Publié le 7 Décembre 2009

Par Gérard Dorwling-Carter                Source Montray Kreyol

1/ Quelle différence y a t-il entre une consultation populaire et un référendum ?

Le mot « référendum » apparaît dans la constitution française en 1958. Auparavant, il était fait usage d’appellations telles que « consultation » ou « appel au peuple ». Au 21è siècle, on peut faire la distinction entre le référendum qui a un caractère décisionnel, de la consultation qui n’émet qu’un avis. Mais dans la terminologie juridique on utilise aussi bien les expressions « référendum consultatif » que « consultation référendaire », suivant que l’on s’attache à la technique ou à ses conséquences. Pour répondre à la question posée dans le contexte et ne pas faire un cours de droit, il faut préciser que la Constitution parle de « consultation » des populations concernées et non pas de référendum en cas de changement statutaire ou institutionnel.

2/ Assemblée unique et collectivité unique, est-ce la même chose ?

La Constitution prévoit le statut de collectivités territoriales créées en application du dernier alinéa de l’article 73. Ce sont des collectivités situées outre-mer et dotées d’une assemblée délibérante unique, substituée au Conseil général et au Conseil régional. L’assemblée unique vient remplacer les assemblées des deux collectivités territoriales existantes, la Région et le Département du cadre départemental.

Le terme de Collectivité d’outre-mer ou COM, depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 désigne le statut juridique de certains territoires de la République française placés sous le régime de l’article 74 de la Constitution. Ce sont les anciens territoires d’outre-mer (TOM) et des autres collectivités à statut particulier.

Ces collectivités disposent de compétences étendues, généralement de l’autonomie douanière et fiscale. Chacune d’entre elles dispose d’une organisation spécifique de ses compétences organisée par une loi spéciale dite organique, votée par le Parlement. Elles peuvent laisser des prérogatives importantes aux communes, tel que le prévoit par exemple le projet d’autonomie de la Guyane. En ce sens on ne peut pas dire qu’elle est « unique ».

3/ Pourquoi la Guadeloupe n’est-elle pas concernée par la consultation ?

Le Président du Conseil Général a formulé une proposition de méthode basée sur la démocratie participative qui « ambitionne de donner la parole aux citoyens et de faire naître le débat dans chaque commune, dans chaque section, dans chaque quartier, dans chaque foyer », ce qui on le comprend renvoie le projet à plus tard… Le président de la Région Guadeloupe, Victorin LUREL, rappelle qu’en 2003, en Guadeloupe, le rejet du projet de réforme par les électeurs avait été massif. Il précise que, ni l’actuelle majorité régionale, ni l’actuelle majorité départementale n’ont été élues sur un programme de changement institutionnel et statutaire. Estimant que la priorité est de « … traiter concrètement dès aujourd’hui les problématiques de pouvoir d’achat, de logement et d’éducation des Guadeloupéens ainsi que de formuler des réponses à la crise qui menace l’économie… », Victorin LUREL réaffirme que la question institutionnelle n’est cependant pas morte et qu’il conviendra de la relancer « le moment venu », mais il estime nécessaire de déconnecter cette question du calendrier électoral, c’est-à-dire ne pas lancer un nouveau processus qui chevauchera les prochaines élections régionales.

4/ Y a t il plusieurs degrés d’autonomie dans l’article 74 ?

L’autonomie constitutionnelle veut dire que la collectivité qui en dispose peut exercer un recours constitutionnel quand ses prérogatives sont empiétées par la tutelle étatique, quand elle a fait le choix d’une maitrise de son foncier et de protéger l’emploi local. Les compétences peuvent être choisies de façon sélective et leur application différée dans le temps. Ce sont ces modalités souples d’application qui permettent de dire qu’il y a « plusieurs degrés d’autonomie » dans l’article 74. D’où la formule employée par le Chef de l’Etat de « Juste degré d’autonomie ».

Ou des termes de la Constitution, s’agissant de l’autonomie de l’article 74 : « Les Collectivités d’Outre-mer régies par le présent article ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d’elle au sein de la République ». Cela implique bien des degrés différents d’autonomie selon la conception que l’on se fait de ses « intérêts propres. »

5/ Quelles sont les collectivités actuellement régies par le 74 et les territoires qui disposent actuellement d’une collectivité unique ?

La France compte actuellement plusieurs collectivités d’outre-mer au sens de l’article 74 de la Constitution, Mayotte ayant opté pour réintégrer le champ d’application de l’article 73 de la Constitution : La Polynésie française est qualifiée de « pays d’outre-mer » et dispose d’une autonomie très poussée St Pierre-et-Miquelon, qui a changé quatre fois de statut en trente ans, sans oublier la Polynésie qui porte le nom de « Pays d’outre-mer. Saint-Barthélemy et Saint-Martin, proches de nous géographiquement, mais totalement différentes, parce qu’issues de communes de la Guadeloupe. Ce sont deux COM, au titre de ce même article 74 depuis une loi organique adoptée en 2007, totalement appliquée depuis juillet 2008, suite aux consultations du 7 décembre 2003. Ces deux collectivités exercent les compétences des communes, des départements et des régions, par le biais d’une collectivité unique, appelée « conseil territorial », et élue pour 5 ans. Les deux COM disposent de leur autonomie fiscale. A noter que des difficultés sont apparues pour l’une d’entre elles, (Saint Martin la moins prospère économiquement), du fait qu’elle était à l’origine une collectivité qui n’avait pas de ressources propres, de politiques publiques relevant de sa compétence communale, parce qu’elle dépendait de la Guadeloupe. Le passage à la COM a donc laissé un vide structurel et budgétaire, la Guadeloupe n’étant plus là, pour satisfaire les besoins des populations dont la responsabilité relevait de la Région ou du Conseil général. Mais pour l’unanimité des élus, en dépit de ce qui a été des erreurs de « jeunesse », ce choix n’est pas remis en cause. Ces errements ne sont pas concevables pour le passage d’un département au statut de Collectivité d’outre-mer, du fait de l’existence de politiques publiques, de services administratifs, d’affectations budgétaires dont le continuum est assuré, sinon garanti par la Constitution, le maintien au sein de la République.

Wallis-et-Futuna, située dans le Pacifique est la Collectivité la plus « originale » : elle ne connait pas d’échelon communal, et y existent deux « royaumes » de droit coutumier au statut très particulier au sein de la République française puisque détenant des compétences dans certains secteurs de la vie publique.

6/ Si le Non l’emporte le 10 janvier et également le 24 janvier, que se passe t-il ?

Il faudra attendre patiemment la mise en place des dispositions qui seront tirées de la réforme proposée par le comité Balladur. L’instauration, dans les départements et régions d’outre-mer d’une assemblée unique ; à compter de 2014, d’autres intercommunalités peuvent apparaître… pouvant ensuite, sur la base du volontariat, accéder à ce statut. La confirmation de la clause de compétence générale au niveau communal (métropoles, groupements intercommunaux et communes) : ce qui veut dire pour nous la création d’autres « chefferies » qui viendront épaissir le mille-feuilles institutionnel… Si on n’y prend pas garde !

Mais rassurons-nous le chef de l’Etat a solennellement dit que le statu quo n’est pas envisageable compte tenu de la dégradation de la situation de ce pays.

7/ Le 24 janvier si le Oui l’emporte, pour mettre en place en place la nouvelle collectivité, il faudra voter une loi organique. Quel sera son contenu ?

C’est le « chat dans le sac », plus gros que celui de 2003, parce que là, la question était claire : une assemblée unique dans le cadre de l’identité législative et départementale. Actuellement, c’est l’assemblée unique avec comme toile de fonds la volonté du chef de l’Etat de refuser le statu quo, sans que l’on sache ce qui ira avec…

On peut seulement imaginer, sans dramatiser outre mesure que Nicolas Sarkozy, tirant la leçon des événements de février 2009 (et si les suffrages autonomistes sont relativement substantiels), réintroduira le « juste degré d’autonomie » dont la Martinique a besoin pour être responsable de son développement économique et social.

On peut toutefois faire remarquer que l’étrangeté de la situation est que cette donne ne gène guère ceux qui suggèrent de ne pas voter l’article 74 compte tenu de l’inconnu que constitue la loi organique qui sera votée ultérieurement, sans s’inquiéter de cette loi organique, toute aussi indispensable pour l’assemblée unique version 73 qui cependant n’inquiète personne. Et là, on se trouvera exactement dans la configuration de 2003 ou certains ont poussé des cris d’orfraie en évoquant le danger de cette loi organique, de ce « chat dans le sac ! » La nouvelle loi organique, version 73, devra modifier la durée des habilitations et expérimentations (actuellement de deux ans) pour que le système ait du sens.

8/ Les propositions du congrès des élus peuvent-elles être prises en compte par une collectivité unique dans le cadre de l’article 73 ?

La seule restriction du Chef de l’Etat sera « politique », c’est-à-dire ne pas donner aux élus du Congrès toutes les compétences qu’ils ont demandées et pour une durée trop longue pour ne pas paraître céder et désavouer ses troupes locales. Mais il y a fort lieu de penser que les compétences les plus larges, pour une période plus longue que deux ans comme le prévoit la loi organique actuellement en vigueur seront accordées. Sinon le système ne fonctionnera pas. Et on ne voit pas ce qui peut empêcher le chef de l’Etat de pousser un projet en ce sens. Il a en tous les cas la majorité pour ce faire.

9/ Si le 74 passe, est-ce que l’adhésion à l’Union Européenne reste automatique en tant que Région Ultra Périphérique (RUP) ou risque-t-il d’y avoir une révision du statut de la Martinique qui pourrait passer de RUP à TOM ?

Après un moment d’indécision, la Commission Européenne a formellement reconnu le statut de RUP à Saint Martin et Saint Barthélémy, qui pouvaient poser problème parce que ce sont des communes qui ont opté pour le choix d’être des collectivités autonomes et elles n’existaient pas jusque-là, à l’échelle de l’Europe. L’Europe se préoccupe d’autant moins de ces changements qui tendent à accorder une certaine autonomie aux régions européennes, qu’elle a, elle-même par une charte incitatrice demandé aux Etats membres d’accorder plus de responsabilités, plus d’autonomie à leurs territoires, surtout périphériques.

10/ Si le 74 passe, un retour en arrière est il encore possible ?

Par le même processus : le Congrès, la consultation populaire et une nouvelle loi organique votée par le Parlement. Cela a été le cas de St Pierre et Miquelon, qui a changé de statut quatre fois en trente ans. C’est la raison pour laquelle il ne faut pas considérer le changement de statut comme un processus définitif et inéluctable. C’est le propre de tous les Etats dépendants de métropoles, dans la Caraïbe d’avoir recherché le statut le plus adapté à son développement économique. Tel est le cas par exemple du Royaume néerlandais.

11/ Si le 74 passe, y aura-t-il toujours des parlementaires Martiniquais ?

Les Collectivités d’Outre-mer font pleinement partie du territoire de la République française, et des compétences exclusives de l’État français s’y appliquent, notamment en matière de défense, de sécurité, de citoyenneté et de nationalité, de Constitution, mais aussi en matière législative via le Parlement : chaque COM dispose d’une représentation élue à la fois à l’Assemblée nationale et au Sénat, même si les lois votées au Parlement et promulguées ne s’y appliquent pas obligatoirement. De plus la pleine citoyenneté française leur permet de participer aux autres élections nationales comme celle du Président de la République ou un référendum national.

Les dispositions constitutionnelles ne changent rien d’autre que l’octroi de responsabilités à la Collectivité à venir. Ce n’est qu’une simple répartition fonctionnelle et rationnelle que d’aucuns « dramatisent » pour des raisons purement politiciennes. Et c’est dommage ! Saint-Martin et Saint-Barthélemy à côté de nous ont leur représentation parlementaire.

12/ Si le 74 passe, quelles sont les domaines dans lesquels rien ne va changer ?

Les compétences régaliennes, la diplomatie, la justice, la Constitution par exemple. Les prérogatives de l’Etat en matière de défense, de sécurité, de citoyenneté et de nationalité. Et aussi le social qui reste compétence de l’Etat. Sans omettre tout le droit des personnes, des libertés publiques… Du jour au lendemain le soleil ne va pas se lever à l’ouest et les alizés venir du nord. L’appartenance à la France, à l’Europe reste intangible. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle certains partis de gauche, le GRS, Combat ouvrier (ou ce qui en reste) le PKLS indiquent que ce changement ne « change rien » en réalité.

13/ Si le 74 passe, qu’est-ce-que ça va changer dans les impôts ? Aux impôts locaux qui relèvent déjà des collectivités locales, va s’ajouter la compétence fiscale générale que la Collectivité pourra utiliser comme outil de développement. Et dans ce cadre il n’est pas inéluctable de voir les impôts augmenter. La Région par exemple n’a pas augmenté d’un point la pression fiscale des contribuables martiniquais en 12 ans. Ce peut-être une répartition différente, de l’impôt, des modalités qui favorisent le développement endogène. L’impôt n’est pas qu’une modalité de collecte budgétaire, mais peut être un levier de développement.

14/ Si le 74 passe, y aura-t-il le même système de sécurité sociale ? Il y aura-t-il le même système d’assurance chômage ? Le RMI sera-t-il toujours en vigueur ?

La collectivité n’aura pas la compétence sociale, ce secteur fait partie des compétences partagées avec l’Etat, car le coût du social est un paramètre économique qui influe sur l’emploi et que des discussions, des ajustements peuvent être rendus nécessaires pour la sauvegarde économique. Le système social qui est le fruit des luttes des travailleurs restera inchangé, car les forces politiques qui prônent l’autonomie sont constituées des travailleurs de ce pays. Les élus ont simplement sollicité un « droit de regard » sur ce pan important du fonctionnement de la collectivité, du coût du travail par exemple.

15/ Si une collectivité unique remporte les suffrages, quand et comment sera-t-elle composée et quelle sera la fréquence de son renouvellement ?

Le cadre des élections est une circonscription unique sur la base d’un scrutin de liste à la proportionnelle à 2 tours avec une prime majoritaire de 4 sièges, d’un seuil d’accès à la répartition de sièges de 5% des suffrages exprimées, et de l’obligation de placer, dans les 10 premiers de la liste, deux représentants a minima de chaque circonscription législative existante. La collectivité Martinique sera dotée :

- Du Conseil Territorial. Les membres de l’assemblée délibérante unique seront élus dans de 75 membres au total, prime majoritaire comprise, élus pour 6 ans.
- D’un Conseil exécutif distinct de l’assemblée. L’organe exécutif de la Collectivité de Martinique. Il est composé de sept (7) à treize (13) membres élus au sein du Conseil Territorial, au scrutin de liste majoritaire à trois (3) tours (majorité homogène).
- Du Président du Conseil Territorial : Les conseillers Territoriaux procèdent à l’élection de leur Président au scrutin majoritaire à trois (3) tours. La liste majoritaire désignant le président de ce Conseil.

- De la commission permanente. Elle est composée de 15 à 21 membres élus au scrutin de liste à la représentation proportionnelle sans panachage ni vote préférentiel.

- Des commissions sectorielles.
- Des commissions d’études ou commissions sectorielles peuvent être créées au sein du conseil territorial. Elles sont chargées à la demande du Président du Conseil Territorial de donner des avis sur les affaires soumises à la décision du Conseil.
- La Commission d’Appel d’Offres (CAO présidée par le Président du conseil exécutif ou son représentant sera mise en place dans le respect des règles du code des marchés publics).


Rédigé par Karevé

Publié dans #Politique

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article