Nathalie
Minatchy : C’est une opération qui s’adresse aux enfants qui vivent en Guadeloupe pour les sensibiliser aux produits du pays et aux personnes (agriculteurs ou
pêcheurs) qui les produisent. Cette opération s’inscrit dans les objectifs de l’association Kap Gwadloup ( Koudmen pour une agriculture paysanne en Guadeloupe) qui défend le
concept d’agriculture paysanne porté par l’UPG (Union des producteurs agricoles de la Guadeloupe) et plus largement notre production agricole
CCN : quels sont les objectifs à terme?
NM. Nous espérons, clairement, le développement de la production agricole, de l’agro-transformation afin d’avoir une agriculture qui puisse nourrir la
population de la Guadeloupe et permettre à l’agriculteur de vivre décemment de son travail.
CCN : Est-ce une opération qui sera reprise dans d'autres écoles?
NM. Nous sommes prêts à reprendre cette opération dans toutes les écoles qui nous en feront la demande. Elle pourra aussi être complétée avec d’autres
intervenants pour sensibiliser les enfants sur d’autres aspects, notamment avec Henry Joseph qui est membre de Kap Gwadloup.
CCN : Comment les maires et responsables des cantines réagissent-ils à vos propositions?
NM. L’accord du 4 mars signé par le LKP (dont fait partie Kap Gwadloup) prévoit dans son article 1, une revalorisation de 20% de la PARS (Prestation de Restauration
Scolaire) en contrepartie d’un engagement des cantines à offrir aux élèves plus de 50 % de produits issus de notre ’agriculture e . Nous savons que c’est un objectif qui ne
sera pas simple à atteindre car il faut organiser les producteurs, planifier la production pour avoir une régularité, organiser l’agro-transformation car les restaurants
scolaires ne pourront pas recevoir des produits bruts. Il y a également des problèmes d’ordre juridique concernant le respect de la législation lors de la rédaction des appels
d’offre. C’est un grand chantier et parallèlement, il faut aussi que les enfants aient envie de manger les produits du pays , c’est pour cela que nous avons voulu mettre en
place cette opération de sensibilisation.
Les responsables de cantine que nous avons rencontrés, à l’initiative de l’UPG, nous ont fait part de toutes ces difficultés et sont contents de pouvoir travailler avec nous. A
nous donc de faire le liyannaj pour que les choses avancent.
CCN : KFC, Fast food, les jeunes guadeloupéens ont-ils encore l'envie de " manjé gwadloup"?
NM. La mondialisation, l’acculturation font que nos jeunes (enfants et même étudiants) sont très attirés par ces nourritures « modernes » qui ne
lésinent pas sur le marketing. Cependant, nous connaissons les effets d’une hygiène alimentaire désastreuse : 16 % d’obésité infantile en Guadeloupe, une prévalence
importante de maladies comme le diabète, l’hypertension artérielle pour lesquelles une mauvaise alimentation, trop riche en sucres et en graisses, est un facteur de risque
aggravant.
Pouvons-nous, au nom de la soi-disant modernité et de la mondialisation, laisser nos enfants se détruire. Nous devons réagir si nous les aimons et nous devons les amener petit à
petit à redécouvrir les goûts, les saveurs de leur pays r ainsi le plaisir du partage et de la convivialité.
Les bienfaits des aliments made in Gwadloup sont de plus en plus connus et reconnus, les méfaits de la société de consommation aussi. Nous sommes confiants et décidés à
travailler sur ces axes.
CCN : D'une manière générale, la Guadeloupe est-elle déjà en mesure de s'auto-suffire en matière alimentaire?
NM. l y a encore des efforts à faire quand on voit les chiffres de l’importation des denrées alimentaires en Guadeloupe, mais les 44 jours ont montré que nous
avions de la ressource, contrairement à la Martinique où les choses étaient plus difficiles. A nous de mettre en valeur nos ressources et de diminuer les consommations de
produits importés et raffinés qui ne font de bien, ni à nous, ni à nos agriculteurs, ni à notre développement économique.
CCN : La Guadeloupe, est-elle en mesure d'exporter une partie de sa production?
NM. De quelles productions parle-t-on ?
La Guadeloupe exporte déjà une partie de sa production, constituée par la banane, les produits issus de la canne, le melon. Mais quel avenir pour ces cultures qui sont soumises
aux cours des marchés mondiaux et dans le contexte d’abaissement et de suppression des barrières douanières (voir ce qui se passe encore actuellement pour la banane). Si ces
cultures d’exportation, à cause notamment du volet d’emplois qu’elles représentent, doivent être maintenues, elles doivent l’être suivant des modalités et objectifs à redéfinir
(viser des marchés de niche, de qualité …et aussi se tourner vers le marché intérieur…), mais en aucun cas elles ne pourront être des filières d’avenir, dans le cadre actuel de
la compétition mondiale et du libre échange.
La Guadeloupe, si elle veut exporter durablement, doit se tourner vers des productions de qualité et haut de gamme, faisant appel à la créativité et à l’innovation. Elle doit
parallèlement développer sa production pour être beaucoup plus offensive sur le marché intérieur afin de réduire les importations de biens courants pouvant être fabriqués sur
place. Cela passe aussi par le choix de nouvelles façons de consommer.
CCN : Ces expériences sont-elles comprises (et suivies) par des agriculteurs qui ne sont pas à l'UPG?
NM. ll faudra qu’elles le soient et nous y travaillerons. Il faut repenser l’agriculture en Guadeloupe, de manière globale et créer une agriculture à la
dimension de notre pays, pourvoyeuse de nourriture, mais aussi de santé, de bien être et de développement économique. Il ne faut pas se figer non plus sur des concepts, mais
voir comment nous pouvons, tous ensemble, répondre au mieux aux besoins de la population, aux besoins de respect de l’environnement, au rôle social, d’équilibre et
d’émancipation que doit jouer l’agriculture.
CCN : Est-ce que l'agriculteur guadeloupéen, vit bien de SA terre?
NM. Cela dépend de ses conditions d’installation (s‘il est à la tête d’un véritable outil de travail avec irrigation, électricité etc ou d’on senp mòso tè).
Cela dépend de la superficie, mais aussi du choix de la culture. Un agriculteur avec 2 ha de fleurs vit mieux qu’un agriculteur qui travaille 15 ha de canne dans les
conditions actuelles de valorisation de la canne.
Mais d’une manière générale, ne nous faisons pas d’illusion, il y a de nombreux agriculteurs qui souffrent, qui ont des conditions de travail très difficiles (exemple des
agriculteurs installés dans les régions montagneuses à Matouba), des situations précaires (agriculteurs qui louent des terres et qui sont parfois menacés d’expulsion par le
propriétaire du jour au lendemain). Parmi eux, il y a des résistants dans l’âme qui forcent l’admiration. Il faut aussi que l’agriculture redevienne un métier attractif et
valorisant pour tous les jeunes formés au Lycée Agricole notamment et qui embrassent ensuite d’autres carrières.