LE SERUM DE VERITE

Publié le 14 Octobre 2009

Par Dominique DOMIQUIN
 

Mon quimboiseur est Freudien. Il ramène tout à l’enfance, au sexe et à la mort.
J’ai beau discuter cognitivisme, lui ne jure que par Thanatos et Legba.  L’autre
jour, je lui ai raconté mon dernier rêve : « Voilà, docteur : A l’aide d’un sabre
bien filé, je me découpe en mille morceaux puis, lorsqu’il ne me reste plus que
les yeux pour pleurer, je constate qu’il m’est impossible de revenir en arrière.
C’est alors que je prends la posture du « Cri » de Munch, mais sans pouvoir
émettre un son. » Après m’avoir craché du rhum au visage et fouetté avec les
photocopies de mes dernières feuilles d’impôt, mon gadézafè m’allonge sur son
divan. Souriant malicieusement, il m’injecte le contenu d’une seringue : « C’est
du pentothal ! Je vous ai mis la dose de cheval ! Vous verrez, c’est plus rapide
que l’hypnose et beaucoup plus efficace ! » Sur le sol de terre battue, il dessine
un mathème en invoquant Herzulie-Vierge-Marie. Au bout de vingt secondes, je
sens monter en moi l’irrépressible besoin de dire la vérité.
 
Moi : Guadeloupéen, le temps de Penser est venu ! La Réalité cogne à ta porte !
Éteins ta Playstation, sors de ton 4/4 et assieds toi à l’ombre d’un manguier (si
possible en haut d’un morne, car tu vas avoir besoin d’altitude).
 
Gadézafè : Qui es tu donc, Démon ? 
 
Moi : Ben… c’est toujours moi, docteur…
 
Gadézafè : Impossible ! Un Guadeloupéen, ça ne vit que de pulsions ! Ça ne
raisonne jamais vraiment ! Je le sais parfaitement, j’en suis un moi-même !
 
Moi : Docteur, j’en ai marre des ombres sur les parois de ma caverne. J’ai
besoin d’oxygène ! Je veux savoir la vérité…
 
Gadézafè : Par le pouvoir de Lucette Michaux-Chevry, sors de ce corps, Esprit
Maléfique ! 
 
Moi : Docteur, dois-je être l’esclave de ma Mémoire quand je ne demande qu’à
connaître Toute mon Histoire ?
 
Gadèzafè : Aïe ! 
 
Moi : Après ses crachats et ses fers, la France m’a dit : « Par Jules Ferry, dors, je
le veux ! Civilise toi, oublie tout, deviens blanc, deviens Franc, achète mon
cassoulet et tu seras sauvé ! »
 
Gadézafè : Euh… n’allons pas par là, c’est dangereux…
 
Moi : Hier au soir, l’Eglise exigeait : « Sauvez la France au nom du Sacré-
Cœur ! » Ce matin, elle sermonne : « Gwadloupéyen kalbandé sa ! Mais sans
préservatifs ! »
 
Gadézafè : N’allons pas par là, non plus. Vous savez bien que c’est une route
pavée de bonnes intentions.
 
Moi : Les communistes m’ont dit : « Le travail rend libre ! », les capitalistes
m’ont dit « Rends libre le travail ! » ou vice versa, je ne sais plus. 
 
Gadézafè : Vous filez un mauvais coton, mon p’tit vieux… Pire ! Vous broyez
une amère canne à sucre.
 
Moi : Aimé Césaire m’a dit, en zozotant : « Mens sana in corpore sano ! Le
temps viendra où nous courrons tout seuls. Mais d’abord il nous faut grandir vite
et apprendre à marcher lentement ; L’Afrique reconstruira notre mental et la
départementalisation s’occupera du physique. Après, débrouillez-vous, bordel !
Vous ne trouvez pas que j’en ai assez fait ? »
 
Gadézafè : Sacrilège ! Vous tuez papa Césaire après avoir craché sur papa de
Gaulle ! Espèce de mendiant arrogant !
 
Moi : l’Afrique m’a dit : « An pa konnèt ayen adan sa ! J’ai rien fait, rien vu,
rien entendu. J’ai rien à dire… Et puis d’ailleurs, chacun sa merde ! »
 
Gadézafè : Hum ! Le stade anal… ça, je connais.
 
Moi : Mitterrand et Chirac m’ont dit : « Eurêka ! On décentralise ! On vous
limite le contrôle du préfet sans couper le crédit ombilical ! Ça vous habituera à
prendre de sages décisions et des responsabilités à doses homéopathiques. Mais
sachez qu’au bout du chemin il faudra qu’on se quitte, car il se fait tard… Vous
reprendrez bien du cassoulet ? »
 
Gadézafè : Par les Saintes reliques de Frédéric Jalton, Félix Proto et Dominique
Larifla, Vade retro Satanas !
 
Moi : Patrick St Eloi m’a prévenu : « Si Lézanti sé on bèl péyi, fo pa ou jalou sa
lé zot tini ! Sé grenn diri ka fè sak diri, alo mété men aw an mannyok ! 
 
Gadézafè : C’est vérité ? Ça par exemple !  J’aurais pas cru…
 Moi : Les nationalistes m’ont dit : « OK ! Foi de 40 %, il est temps pour toi de
changer de chaînes. Au péril de nos vies, nous protègerons courageusement ta
culture et tes traditions face au paquebot France Assimilatrice. Tout ce qu’on te
demande en échange, c’est de nous laisser seuls propriétaires de ton identité.
Mais t’inquiètes, on te fera une belle servitude au passage. On va te l’arranger ta
Mémoire ! Au sel, cives et piment ! Pour ce qui est de ton Histoire Intégrale, on
verra après… »
 
Gadézafè : Révisionniste ! Amnésique ingrat ! Notre Père Noël qui êtes aux
cieux, qu’Henri Bangou soit sanctifié…  
 
Moi : Mes polies tiques m’ont dit en langue de bwabwa : « Moi pas entendre
Kréyol, moi donner toi deux feuilles de tôle pour ta case et un job catégorie C
pour ton neveu. Quoi ? Toi pas comprendre ? Toi vouloir pain et poule ? Toi pas
voir barres Le Corbusier, jolis ronds-points et beaux lycées ? Par contre, pour
investissements dans économie locale, moi avoir les mains liées, moi pas
pouvoir faire plus ! »  Tandis qu’ils murmuraient à l’oreille de l’Etat « Nous pas
comprendre Français, nous avoir besoin plus argent pour infrastructures pays.
Nous garder octroi de mer Exclusif car dépenses de fonctionnement
gourmandes. Vous et Europe continuer signer chèques à Blanc et surtout pas
vous mêler de nos affaires ! Nous régler Comptes plus tard dans La Cour… »
 
Gadézafè : Alors là mon vieux, vous êtes grillé ! Foutu ! Par la barbe de Papa
Yaya, dans votre propre intérêt, taisez vous !
 
Moi : Le LKP m’a dit, enfonçant ses ongles dans ma Plaie suppurante : « Nèg !
On veut cuire notre manger nous-mêmes ! L’Etat Kolonyalis Fwansé n’a qu’à pé
sa dyol et abouler le pognon, le canari, le bouillon cube, l’os à moelle, le
bouquet à soupe, l’électricité, la cuisine équipée, la villa, les privilèges de
fonctionnaires, le contrôle des maires démocratiquement élus, la direction des
entreprises, la Caraïbe, le continent américain, la bombe atomique, la Planète
Terre et là, peut-être qu’on cessera de tirer sur la ficelle « Esclavage et
Colonisation » ! Ha, ha ! Ich bin Diabolik ! »
 
Gadézafè : Le plus difficile dans votre cas sera de déterminer la provenance du
projectile… je verrais bien un tir croisé triangulaire (ça avait bien marché à
Dallas)… Vous avez rédigé un testament ?
 
Moi : Docteur, je suis fatigué de me tirer des balles dans le pied. J’en ai marre
de miser sur des papayers mâles. Marre de penser avec ma peau. Marre de
mélanger koko é zabriko. Marre de haïr. Marre d’être le gardien objectif du
déterminisme social inscrit dans l’épiderme. Marre d’être la poupée facile de
ventriloques multicolores. Marre de lâcher la proie pour l’ombre. Marre des
idéologies importées. Marre du consumérisme zombifère. Marre de feindre
d’ignorer que je suis la clé de voûte du système que je dénonce… Marre de
stagner, quoi.
 
Gadézafè : Malheureux ! Vous voudriez sortir du Saint Déni ? Assainir notre
marécage passionnel où chacun connaît si bien sa partition ? Mais c’est à cause
de gens comme vous qu’on se retrouve indépendant ! Que ferait le secteur privé
sans le pactole des fonctionnaires ? Qui financerait chaque année nos UAGistes
à rejouer « Vivre libre ou mourir ! » dans la plus pure tradition de l’Université
Française ? Qui payerait la facture sociale des éternels sové vayan entre
syndicats et patrons infoutus de s’entendre ? Que deviendraient nos nationaux-
racistes sans le ressentiment atavique ? Sans l’alibi béké à se mettre sous la
dent ? Ils finiraient neurasthéniques ! Vous y avez pensé ? Sans blagues, vous
nous voyez recommencer à bouffer racines et morue à chaque repas ? Je vous
signale que c’était la seule nourriture que le Maître nous autorisait à avaler !
Relisez donc votre Code Noir ! Et notre patrimoine Ali Tur ? Nos ex-hôpitaux
militaires ? Nos vieux moulins, nos bitasyon, nos persiennes et nos chiens
assis ? Faut-il aussi les démolir sous prétexte d’éradiquer tout vestige colonial ?
Pourquoi pas déchouké le français du kréyol, tant qu’on y est ! Vous parlez
d’une sinécure ! On a eu le pays en main pendant 44 petits jours, vous avez vu la
pétaudière qu’on en a fait ? C’est la première fois dans toute l’histoire de notre
île que les manblo nous ont empêché de nous faire du mal à nous-mêmes ! Par
Ibo Simon et Victorin Lurel réunis, vous n’êtes qu’un sale égoïste ! Et un
sadique de surcroît !
 
Moi : C’est pas une question d’ego… Je veux juste sortir de mes contradictions.
Honorer mes aïeux avec respect et distance. En paix avec moi-même, admettre
que le Maître est mort et combattre tous ceux, Blancs ou Noirs, qui prétendent
rétablir son empire. M’attaquer dans l’ordre aux problèmes de fond en restant
ancré dans la réalité de mon espace et de mon temps. Choisir sereinement entre
la France et la Guadeloupe. Je veux assumer le risque ! Qu’on arrête d’insulter
mon intelligence et d’accommoder mon Histoire sous prétexte que « je ne suis
pas prêt » ou que « dire toute la vérité desservirait La Cause ». Que les uns
arrêtent d’exiger que j’oublie l’inoubliable sous prétexte de m’intégrer. Que les
autres cessent de me déresponsabiliser sous couvert de me conscientiser. Je crois
qu’après la décentralisation, l’article 74, donc l’autonomie, est un second pas
logique et souhaitable vers l’indépendance… 
 
Gadézafè : Au fou ! A l’assassin ! Au maso réaliste ! Qu’on me donne un tas de
sable que je m’y enfouisse la tête !
 
Moi : Non mais franchetement, soyons extra lucides, c’est bien de cela qu’il
s’agit, pas vrai ? Ne sommes-nous pas déjà bien mûrs ? Devons-nous encore
pleurer « Qui suis-je ? », neuf ans après l’an 2000 ? Cent cinquante ans après
l’Abolition du gros mot qui fâche ? Ne serons-nous pas tous cohérents, pour une
fois, aux yeux des générations futures ?
 
Gadézafè : Mais vous allez la fermer, oui ? Gros malade ! Et puis foutez moi le
camp avec votre fatras intello ! Assez d’insanités dans mon cabinet ! C’est une
maison respectable ici, monsieur !
 
Là dessus, mon gadézafè me flanque un grand coup de pied au cul. Evidemment,
crise mondiale oblige, il n’oublie pas d’empocher les mille euros que réclament
les Esprits. Je n’ai pas pu lui demander d’exaucer mon vœu : Celui d’être, le
temps d’un vote, mofwazé en insecte discret. Oui, l’espace d’un référendum,
j’aimerais être une toute petite fourmi. Je me cacherais dans l’isoloir lorsqu’on
consultera le peuple guadeloupéen sur ce fameux changement de statut qu’il
aura tricoté lui-même. Je rirais sûrement de bon coeur. Ce serait d’ailleurs la
seule chose sensée à faire puisque le résultat, nous le connaissons tous à
l’avance. Pas besoin d’être manti mantè : Beaucoup de mousse et peu de
chocolat... Mais pour la forme, faisons « comme si ». Ça fera toujours marcher
le petit commerce.
 
Goyave, le 01/10/2009 

Rédigé par Karevé

Publié dans #Société

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article