L’énigme de l’Affiche rouge 

Publié le 4 Décembre 2009

La question de l'identité nationale se posait-elle alors ?

Daeninckx rouvre l’enquête

Sur le mode policier, l’auteur de Meurtres pour mémoire signe un roman rigoureux et émouvant sur la tragédie des résistants du groupe Manouchian.

Missak, de Didier Daeninckx. Éditions Perrin. 
290 pages-16,90 euros.

En 2005, Daeninckx publiait Itinéraire d’un salaud ordinaire, une plongée magistrale au cœur de quarante années d’histoire de France, de la rafle du Vél’ d’Hiv à l’accession de Mitterrand à la présidence de la République. Clément Duprest, le salaud ordinaire, inspecteur aux brigades spéciales, y traquait avec ses sbires le réseau FTP-MOI, arrêtant et torturant ses membres. Daeninckx consacrait à Missak Manouchian quelques pages prémonitoires, qui prennent tout leur sens avec son dernier ouvrage. Disons-le tout net, Missak est un livre dérangeant. Pour tous ceux – j’en fus – qui se cantonnèrent longtemps, s’agissant d’un des dirigeants du réseau immortalisé paradoxalement par la sinistre Affiche rouge, à l’image d’Épinal, fidèle dans les grandes lignes à la réalité mais qui faisait litière d’un arrière-plan infiniment plus complexe. Dérangeant aussi pour ceux qui souhaiteraient y lire que le Parti communiste aurait sacrifié la MOI. Dérangeant enfin pour d’autres que semblent gêner l’évocation de Dav’tian, dit Manouchian, dont les convictions trotskistes n’avaient pas empêché Manouchian de le considérer comme un des siens.

la figure exemplaire d’un homme véritable

Une nouvelle fois, c’est à un journaliste, comme dans La Mort n’oublie personne, que Daeninckx confie le rôle de découvreur. Louis Dragère, chargé en 1955 par la direction du Parti communiste, alors que se prépare l’inauguration d’une rue à l’honneur des partisans FTP-MOI, de retracer le parcours de ce presque inconnu afin de désarmer rumeurs, allusions, accusations qui pourraient émaner de milieux hostiles. Une mission qui se révélera d’emblée plus complexe qu’il ne l’avait imaginée. Une rencontre avec Aragon, en train de composer son bouleversant Strophes pour se souvenir et la découverte, dans une copie de la dernière lettre de Manouchian, d’un passage sibyllin absent de la version habituelle, évoquant «  celui qui nous a trahis et ceux qui nous ont vendus  ». Et d’autres, où Dragère ira de surprise en surprise. Celle d’Armène, la sœur de Mélinée, de Charles Tillon, chef des FTP, écarté de ses fonctions au bureau politique du PCF en même temps que Marty, d’un ami de Dav’tian-Manouchian, le responsable trotskiste Roland Filiatre, et d’Henri Krasucki, pas encore secrétaire général de la CGT. Autant d’occasions où s’ébranlent les certitudes de Dragère sans que soit remis en question son engagement, et qui confirment toutes le caractère d’exception de ces hommes exilés, traqués, «  amoureux de vivre à en mourir  », ce qui sera le sort de la plupart d’entre eux. De ce roman noir dont la part de fiction est toujours vraisemblable et l’aspect historique frappé au coin de l’honnêteté et d’une recherche scrupuleuse, on ne peut que louer l’habileté à faire surgir, par touches successives, la figure exemplaire d’un homme véritable, dont l’itinéraire fut jalonné par la tragédie et l’engagement sans concessions. On louera en outre une nouvelle fois le souci du détail, l’exactitude de l’information, la sensibilité avec laquelle Daeninckx fait revivre des Manouchian, des Rayman ou des Krasucki et ce talent inimitable pour recréer des lieux aujourd’hui quasiment disparus qui sont ceux de l’histoire avec un grand H, comme ceux de sa propre histoire. Avec Missak, Daeninckx vient d’écrire un roman pétri d’émotion, de passion, mais aussi de rigueur, qui est aussi une invite à tous les communistes, quelle que soit l’organisation à laquelle ils appartiennent, ou n’appartiennent plus, à se réapproprier l’histoire de ces militants de la vie, pour y puiser l’énergie nécessaire aux combats de notre temps et l’indispensable lucidité de l’autocritique.

Roger Martin

Didier Daeninckx est également l’auteur d’un livre en direction de la jeunesse consacré à Manouchian, Missak, l’enfant de l’Affiche rouge, illustré par Laurent Corvoisier, éditions Rue du Monde.
Source : humanité.fr

Rédigé par Karevé

Publié dans #Histoire

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