Danse sur le volcan haïtien

Publié le 4 Novembre 2010

Dans La danse sur le volcan [1] ] Marie Vieux-Chauvet montre qu’au moment où le rideau tombe, les contradictions explosent à Saint Domingue. Le volcan de la révolte des esclaves est entré en éruption répandant ses poussières toxiques dans l’environnement. Et ceux qui dansaient sur le volcan pendant plus de trois siècles ont été consumés par la lave.

Depuis cette indépendance gagnée sur les champs de bataille en 1804, Haïti fait face à une autre éruption volcanique qui détruit progressivement tout son écosystème. Embargos, exportations de bois et ignorance de la population ont conduit à une destruction écologique sans précédent. Le système politique colonial qui obligeait à “se cacher pour apprendre à lire” a muté en une postcolonialité qui s’est attaquée à la nature. Le volcan aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les failles qui annoncent les ruptures et les effondrements mais ce sont aussi les déchets matériels et humains qui risquent d’engloutir Haïti.

L’État haïtien en réappropriant la politique coloniale de déshumanisation de l’Autre a laissé la grande majorité de sa population vivre dans des conditions infra-humaines sans accès à la nourriture, la santé, l’eau potable, le logement, l’éducation, l’assainissement et l’électricité.

La politique est restée le lieu d’élection pour les prébendes de toutes sortes. Faute de conscience, elle n’est mue que par la recherche du pouvoir à des fins d’enrichissement illicite, la classe politique a assumé cette politique d’irresponsabilité et de propagation du vide existentiel. Passage de l’être au non-être. Pour assurer la continuité de ce non-sens, la classe politique a confisqué les libertés citoyennes, assassiné tous ceux qui veulent d’un autre ordre de choses et bâillonné la population sous le règne d’une terreur dont le duvaliérisme constitue la forme la plus avancée. Les trente ans de duvaliérisme concentrent la dégradation de l’âme haïtienne et constituent la culmination d’une catastrophe dont nous vivons en 2010 les effets délétères. Les semences de l’arbitraire qui ont été plantées au cours de ce régime d’enfer ont germé et ont donné naissance à une déréliction généralisée particulièrement dans le domaine de l’environnement.

L’ethos de l’arbitraire du Nou fè sa nou pi a pito a gagné et est devenu irréversible. L’organisation du délitement de l’État dans les secteurs stratégiques de la société a été un acte délibéré des tenants du pouvoir pour chasser les opposants et avoir le champ libre pour organiser leur curée. Ce délitement de l’État s’est fait à travers la centralisation excessive de toutes les décisions à la capitale, sinon au Palais national, et l’exode des cerveaux, quand ce n’est pas leur élimination physique. Ces deux registres ont été jalousement gardés depuis février 1986, par-delà les incantations des nouveaux chercheurs de pouvoir, au point de se retrouver avec des parlementaires qui discutent de « deux kilogrammes de routes bitumées » pour leur circonscription.

Telle est la triviale vérité de la mise à mort de la société haïtienne. Tout le reste n’est que la continuité, par vagues de variations et de répétitions modulées, de cette putrescence.

Le champ de ruines laissé par le duvaliérisme

L’acceptation résolue du pire se voit particulièrement dans le domaine de l’approvisionnement en eau potable, de l’environnement et de l’assainissement. Les décennies perdues ne se comptent plus. De 1990 à 2000, la population ayant accès à l’eau potable a diminué de 53% à 46% [2] .

Les famines sont devenues récurrentes au point de provoquer des émeutes de la faim en 2008. Le commerce du charbon de bois organisé par les tontons macoutes a conduit à la quasi disparition de la couverture végétale qui n’est plus que de 1.5% aujourd’hui. Les continuateurs des tontons macoutes ont répété les mêmes pratiques. Tout comme ils le font avec le commerce clandestin des travailleurs haïtiens vers la République dominicaine, ils étendent leurs pratiques à d’autres secteurs dont celui du commerce de charbon de bois. En effet, plus de dix camions transportant 105 000 kilos de charbon de bois traversent la frontière haitiano-dominicaine chaque semaine vers Haïti [3] .

Les déchets toxiques de la corruption

Le champ de ruines laissé par les Duvalier est systématiquement cultivé par ses successeurs. On sait comment en décembre 1987, la mafia haïtienne liée aux trafiquants internationaux a accepté que près de 4 000 tonnes de déchets toxiques soient placés sur le wharf de la SEDREN près des Gonaïves dans l’Artibonite. Ces 4 000 tonnes de déchets toxiques provenant de la ville de Philadelphie ont été amenés par le bateau Khian Sea. Les souffrances que les déchets toxiques créent aux Haïtiens sont le cadet des soucis des entrepreneurs de la Corporate America et de leurs associés mafieux haïtiens. Il y a un marché de produits toxiques avec des vendeurs et des acheteurs et c’est le plus important. Pour cette mafia, il faut vivre maintenant, ceux qui viendront après se débrouilleront. Malgré les protestations de nombreuses organisations haïtiennes et internationales, les autorités américaines ont refusé de rapatrier les déchets toxiques en Philadelphie.

Les Haïtiens responsables de ce crime odieux commis sous le gouvernment du général Henri Namphy n’ont jamais été poursuivis. Vive la corruption ! Il a fallu bien des protestations pour qu’enfin en mars-avril 1989, le gouvernement haitien finisse par construire un sarcophage de 1 250 mètres carrés en béton pour loger les 850 mètres cubes de déchets poisseux qui ont permis à quelques personnes de se faire des millions de dollars au détriment de la santé des populations haïtiennes du Bas-Artibonite. Les barils de déchets ont été enfouis mais la cendre toxique laissée sur les plages ne sera enlevée que quinze ans plus tard, soit en 2002. Les règles du marché basées sur les normes sociales qu’il y a des gens qu’on peut traiter comme des animaux ont fonctionné à merveille. Les produits toxiques chimiques ont affecté la santé de plus de 5 000 personnes vivant près du site où ils ont été placés. Également, ils ont causé la mort des poissons, cabris et autres animaux qui ont mangé l’herbe empoisonné par les toxines provenant des déchets. On peut enquêter pour savoir qui de la communauté internationale est persuadé qu’Haïti ne peut pas se payer le luxe d’un environnement sain !

Ce n’est pas assez que l’empire ait dévoyé la révolution haïtienne de 1804. Il doit surtout entretenir ce dévoiement de mille façons avec la complicité des Haïtiens. Assez pour devenir autiste ! En effet les Haïtiens semblent accepter l’interdiction de penser qui leur est faite, surtout sur la litanie des horreurs dont ils sont victimes depuis leur fameuse révolution d’indépendance.

La mécanique bouffonne de l’État marron

Les déconvenues sanitaires actuelles avec la crise de choléra ont donc des antécédents qu’on ne saurait ignorer. L’accès à l’eau potable demeure un privilège pour la grande majorité des Haïtiens qui se désaltèrent au petit bonheur. L’offre d’eau potable ne peut pas satisfaire une demande en hausse. Dans le secteur de l’alimentation en eau potable, les tontons macoutes en tant que gestionnaires des bornes-fontaines dans les quartiers populaires ont bâti des murs dans les cervelles qui résistent à toute chute [4] .

La Centrale Autonome Métropolitaine d’Eau Potable (CAMEP) qui avait été créée pour servir une population de 250 000 habitants dans la capitale et ses environs n’a pas su s’adapter à la croissance exponentielle de la population à partir de 1980. La CAMEP n’a pas pu faire les investissements nécessaires pour couvrir une population de plus de deux millions d’habitants. Au cours de la dernière décennie, c’est grâce au financement de cinq millions d’euros octroyés par l’Agence Française de Développement (AFD), la KFW et l’Union Européenne que 500 000 habitant logeant dans 37 quartiers pauvres de la capitale ont pu avoir accès à l’eau potable à partir de bornes-fontaines.

La CAMEP n’a jamais pu avoir 40 000 branchements particuliers, soit 10% des ménages. C’est aussi le cas avec le Service National de l’Eau Potable (SNEP) qui sert le reste du pays et les zones rurales. En réalité, moins de 2% de la population sont desservies par ces deux entités publiques. La CAMEP et le SNEP font partie de la mécanique bouffonne de l’État marron qui prétend exister. Les conseils d’administration de ces deux entités ne se sont jamais réunis pendant une décennie. [5]

Les comptes d’exploitation de ces deux entités ont été généralement négatifs. Dans le cas de la CAMEP, le compte d’exploitation a affiché des pertes annuelles qui ont atteint les montants records de 44 millions de gourdes en 2003 et 33 millions de gourdes en 2004. Ces compagnies publiques d’eau n’ont pas pu faire des investissements sur fonds propres et elles ont été obligées de recourir à des subventions pour couvrir leurs frais de fonctionnement. Les tontons macoutes qui contrôlaient les bornes-fontaines dans les différentes zones de la capitale ne voulaient pas de la CAMEP. La mafia de ces tontons macoutes a donc organisé l’incapacité du secteur public à subvenir à la demande en eau potable en donnant naissance à un commerce privé lucratif qu’ils ont alimenté avec leurs forages privés et leurs camions-citernes.

Le bokit dlo et la CAMEP

Le sort des populations rurales n’a pas été différent. 95% des populations rurales s’approvisionnent en eau dans les rivières et dans les puits individuels pollués à cause de leur proximité des fosses d’aisance. En 1999, la bokit dlo (soit 20 litres) se vendait une gourde alors que l’abonnement mensuel auprès de la CAMEP coutait dix gourdes par mètre cube (soit 50 bokits[6] . Ces prix ont depuis grimpé et la bokit dlo est aujourd’hui à cinq gourdes tandis que le forfait mensuel est de 400 gourdes pour cinq heures de temps une fois par semaine, soit 2000 gallons. La bokit dlo coûte six fois plus cher le prix que payent ceux qui sont raccordés au réseau [7] .

Mais en plus du prix fort payé par les gens à faible revenu et les pauvres, le risque de cette forme de privatisation sauvage du service public de l’eau vient de l’absence de tout contrôle de la qualité de l’eau vendue dans ces conditions. En effet, l’insalubrité s’est propagée à un tel rythme au point de devenir une situation normale. Avec l’accroissement de la population, les déchets solides qui étaient de 3 100 mètres cubes par jour en 1995 ont pratiquement doublé en 2010. C’est aussi le cas avec les déchets humains. De 2 000 tonnes par jour en 1996, ces déchets humains ont pratiquement atteint 4 000 tonnes aujourd’hui. Or ces déchets tant solides que humains ne sont pas traités car il n’existe pas une usine de traitement de déchets. 70% de ces déchets sont essentiellement évacués par les pluies. Dans le cas de la capitale, du fait que les réseaux de drainage sont obstrués, cela cause des inondations avec les conséquences négatives sur la santé des populations. Comme l’explique Gérald Holly, « ces inondations continuelles de la ville sont dangereuses sur le plan de l’hygiène vu que les eaux contiennent des ordures ménagères et des déchets humains qui s’infiltrent dans le réseau de distribution potable, soumis à une pression interne régulière du fait que les canalisations se trouvent en surface de nombreuses rues [8] . »

Rédigé par Leslie JR PEAN

Publié dans #Politique

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