À mon Vieux Maître

Publié le 4 Février 2012

 En août 1865, un certain Colonel P.H. Anderson de Big Spring, Tennessee, écrit à son ancien esclave, Jourdan Anderson, et lui  demande de revenir travailler sur sa ferme.

Jourdan – qui, depuis qu’il a été émancipé a déménagé dans l’Ohio, y a trouvé un travail salarié et est devenu désormais soutien de famille – répond de manière spectaculaire au moyen de la lettre ci-dessous (une lettre, que, selon, les journaux de l’époque, il a dictée).

Plutôt que de citer les nombreux  morceaux de bravoure de cette lettre, je vous laisserai simplement la savourer. A lire jusqu’à la fin.

(Source: The Freedmen's Book)

 

Dayton, Ohio,

7 août 1865


À mon vieux Maître, Colonel P.H. Anderson, Big Spring, Tennessee

Monsieur,

 

J’ai reçu une lettre de vous et ai été heureux de constater que vous n’avez pas oublié Jourdan et que vous voulez que je vienne vivre de nouveau avec vous, promettant de faire mieux pour moi que n’importe qui d’autre.

Je me suis souvent senti mal à l’aise avec vous.

Je pensais que les Yankees vous auraient pendu bien avant cela, pour avoir abrité les Rebelles qu’ils ont trouvé dans votre maison.

Je suppose qu’ils n’ont jamais entendu parler du fait que vous êtes allé chez le Colonel Martin pour tuer le soldat de l’Union qui avait  été laissé dans son étable par sa compagnie.

Quoique vous ayez tiré deux fois sur moi avant que je ne vous quitte, je n‘aurai pas voulu entendre que vous aviez été blessé et je suis heureux que vous soyez toujours en vie.

Cela me ferait du bien de retourner au cher vieux foyer et de voir Miss

Mary, Miss Martha, Allen, Esther, Green et Lee.

Fîtes leur part à tous de mon amour et dites-leur que j’espère que nous nous rencontrerons dans un monde meilleur, si ce n’est dans celui-ci. J’aurais pu retourner vous voir tous quand je travaillais à l’hôpital de NASHVILLE mais un des voisins m’a dit qu’ Henry avait l’intention de tirer sur moi si jamais il en avait l‘occasion.


Je veux savoir en particulier de quelle bonne fortune vous vous proposez de me gratifier.

Je me débrouille pas mal ici.

Je gagne vingt-cinq dollars par mois, provisions et vêtements compris.

J’ai une maison confortable pour Mandy – les gens l’appellent Mme Anderson – et les enfants - Milly, Jane et Grundy – vont à l’école et apprennent bien.

Le professeur dit que Grundy a le talent d’un prêcheur.

Ils vont au catéchisme et Mandy et moi allons à l’église régulièrement.

Nous sommes bien traités.

Parfois nous surprenons les autres à dire “ eux-là, ces gens de couleur étaient esclaves » là-bas au Tennessee.

Les enfants se sentent blessés quand ils entendent de telles remarques mais je leur dit que ce n’était pas une disgrâce au Tennessee d’appartenir au Colonel Anderson.

Beaucoup de bronzés auraient été fiers, comme je l’étais, de vous appeler Maître.

Maintenant si vous m’écriviez pour me dire quels gages vous me donnerez, je serai mieux à même de décider si cela serait à mon avantage de déménager à nouveau.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          

S’agissant de ma liberté dont vous dites que je peux l’avoir, il n’y a rien à gagner sur ce point, car j’ai eu mes papiers de Libre en 1864 par le

Provost-Marshal-General du Département de Nashville.

Mandy dit qu’elle serait effrayée de retourner sans savoir d’avance si vous seriez disposé à nous traiter de manière juste et gentille et nous avons finalement décidé de tester votre sincérité en vous demandant de nous envoyer nos gages pour le temps où nous vous avons servi.  

Cela nous fera oublier et pardonner de vieilles rancœurs et nous reposer sur votre  justice et votre amitié dans l’avenir.

Je vous ai servi loyalement pendant vingt-deux années et Mandy vingt années.

A vingt-cinq dollars par mois, pour moi, et deux dollars par semaine pour Mandy, nos gains s’élèveraient à onze mille six-cent quatre-vingt dollars. Ajoutez à cela un intérêt pour la période pendant laquelle nos gages n’ont pas été distribués, déduisez ce que vous avez payé pour nos vêtements et trois visites du docteur pour moi, l’arrachage d’une dent pour Mandy et le solde montrera que nous y avons droit en toute justice.

Merci de nous envoyer l’argent par Adams's Express, aux bons soins de V. Winters, Esq., Dayton, Ohio.

Si vous nous faîtes défaut pour payer les travaux loyaux du passé, nous ne pouvons avoir que peu de foi dans les promesses du futur.

Nous faisons confiance au bon Créateur pour vous avoir ouvert les yeux sur les torts que vous et vos pères m’ont fait à moi et à mes pères, en nous faisant trimer pour vous pendant des générations sans dédommagement.

 

Ici je retire mes gages tous les samedis soir mais au Tennessee, il n’y avait jamais de jour de paye pour les nègres pas plus que pour les chevaux ou les vaches.

Il y aura certainement un jour du Jugement dernier pour ceux qui frustrent le travailleur de son salaire.

En répondant à cette lettre, merci de stipuler si mes Milly and Jane, qui sont désormais des jeunes femmes et toutes les deux de jolies filles seront en sécurité.

Vous savez comment c’était pour les pauvres Matilda and Catherine.

Je préférerais rester ici à souffrir de la faim – et mourir, si on devait en arriver là – plutôt que de voir mes filles promises à la honte par la violence et la perversité de leurs jeunes maîtres.

Vous voudrez bien également s’il vous plaît préciser si une école a ouvert pour les enfants de couleur dans votre voisinage.

Le grand désir de ma vie désormais est de donner une éducation à mes enfants et de les voir prendre des habitudes vertueuses.

Dites bonjour à George Carter et remerciez-le d’avoir retire le pistolet de vos mains quand vous me tiriez dessus.

 

De la part de votre vieux serviteur,


Jourdon Anderson.

 

 

 

Rédigé par Traduit par Karevé

Publié dans #Histoire

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