a b c
Publié le 7 Septembre 2010
Philippe MOUTY
Résumé
Lire, écrire ou comprendre un texte ne sont pas des acquis pour tous. Parmi les Guadeloupéens âgés de 16 à 65 ans, 25 % éprouvent des difficultés suffisantes pour les gêner au quotidien. Les difficultés augmentent avec l’âge mais les jeunes ne sont pas épargnés : 15 % des 16-29 ans sont en grande difficulté. Scolarisation au plus jeune âge, niveau de vie des parents, langue pratiquée à la maison sont autant de critères qui influent dans la maîtrise de l’écrit en français. Se trouver en situation d’illettrisme est un facteur aggravant au regard de l’emploi. Compenser par l’oral est un palliatif : 61 % des Guadeloupéens en difficulté à l’écrit sont à l’aise à l’oral.
Sommaire
- Un guadeloupéen sur cinq en situation d’illettrisme
- Moins de difficultés en lecture
- Des aînés en grande difficulté, des jeunes pas épargnés
- Des difficultés déjà dans la phase d’apprentissage
- Un handicap pour l’emploi
- Les difficultés à l’écrit mais une meilleure maîtrise de l’oral
- Qu’est-ce que l’illettrisme ?
- Déterminer les compétences face à l’écrit
- L’enquête Information et Vie Quotidienne en Guadeloupe
Publication
Au 1er janvier 2009, 55 000 Guadeloupéens âgés de 16 à 65 ans, soit une personne sur quatre, se trouvent dans une situation préoccupante face à l’écrit, à un degré tel qu’une communication efficace par ce moyen leur est particulièrement difficile. Pour un Guadeloupéen sur six, la communication est même très difficile. Ils obtiennent un taux de réussite inférieur à 40 % à des exercices permettant d’évaluer leurs compétences dans les trois domaines fondamentaux de l’écrit : la lecture, l’écriture et la compréhension d’un texte simple. Des gestes de la vie quotidienne comme lire un journal, rédiger une demande d’emploi ou comprendre un contrat en sont rendus d’autant plus délicats.
Le lieu de scolarisation est déterminant : plus des deux tiers des résidents guadeloupéens ayant été scolarisés à l’étranger ont des difficultés graves ou fortes. Le français, langue étrangère pour cette population, constitue un obstacle important à la communication. Néanmoins, parmi les personnes ayant été scolarisées dans le département ou ailleurs en France, 48 000 Guadeloupéens, soit 20 % des 16-65 ans, se trouvent en situation d’illettrisme.
25 % de Guadeloupéens en situation d'illettrisme |
||
unité : % |
||
En difficulté à l'écrit |
Dont difficultés graves ou fortes |
|
Source : Insee, Enquête Information et Vie Quotidienne 2008-2009 |
||
Ensemble |
28 |
25 |
Hommes |
29 |
26 |
Femmes |
27 |
24 |
16 - 24 ans |
15 |
14 |
25 - 29 ans |
21 |
17 |
30 - 39 ans |
25 |
24 |
40 - 49 ans |
25 |
22 |
50 - 59 ans |
45 |
39 |
60 - 65 ans |
46 |
42 |
Téléchargez le tableau au format excel - 14 ko
Difficultés à l'écrit selon le statut d'occupation et le pays de scolarisation en Guadeloupe |
||
unité : % |
||
En difficulté à l'écrit |
Dont difficultés graves ou fortes |
|
Source : Insee, Enquête Information et Vie Quotidienne 2008-2009 |
||
actifs |
26 |
23 |
dont actifs occupés |
17 |
14 |
dont chômeurs |
43 |
40 |
inactifs |
32 |
29 |
dont étudiants |
9 |
8 |
France |
23 |
20 |
Etranger |
68 |
64 |
Téléchargez le tableau au format excel - 14 ko
La grande majorité des Guadeloupéens (72 %) n’éprouvent pas de difficultés dans la communication écrite. Ce taux reste toutefois inférieur de huit points à celui de la Martinique et de la France métropolitaine.
Ce résultat varie suivant les trois domaines de l’écrit (lire, écrire, comprendre un texte simple).
La lecture ne pose pas de problème à 90 % des guadeloupéens. Seuls 5 % d’entre eux éprouvent des difficultés en lecture à un stade tel que la communication avec autrui est rendue très difficile.
L’écriture n’est véritablement maîtrisée que par 73 % des Guadeloupéens. Dans ce domaine, l’écart se creuse avec la France métropolitaine et la Martinique où ce moyen de communication est efficace pour respectivement 86 % et 84 % des résidents. 23 % des Guadeloupéens ont des difficultés en écriture contre 9 % dans l’Hexagone.
Dans une moindre mesure, il en est de même pour la compréhension d’un texte simple : en effet, si 74 % des Guadeloupéens n’ont pas de problème, 16 % d’entre eux se trouvent en situation de difficultés graves pour comprendre un texte écrit.
72% des Guadeloupéens maitrisent l'écrit de la langue française |
|||
unité : % |
|||
Lecture de mots |
Production de mots écrits |
Compréhension de texte simple |
|
Source : Insee, Enquête Information et Vie Quotidienne 2008-2009 |
|||
Personnes n'ayant pu passer les exercices |
2 |
2 |
2 |
Communication très difficile, moins de 40% de réussite |
3 |
12 |
8 |
Communication faiblement efficace, 40 à 60% de réussite |
2 |
9 |
6 |
Communication possible, 60 à 80% de réussite |
3 |
4 |
10 |
Communication efficace, au moins 80% de réussite |
18 |
1 |
2 |
Aucune difficulté dans les trois domaines fondamentaux |
72 |
72 |
72 |
Ensemble |
100 |
100 |
100 |
Téléchargez le tableau au format excel - 21 ko
Parmi les 16-29 ans, une personne sur six rencontre de sérieuses difficultés dans un des domaines fondamentaux de l’écrit. Ce constat pose des questions sur la scolarisation des jeunes guadeloupéens. Il constitue également un défi important au regard de la lutte contre l’illettrisme et un enjeu majeur pour la société guadeloupéenne s’agissant de l’intégration de cette population dans la vie active.
Les difficultés face à l’écrit augmentent avec l’âge. Le niveau moyen d’étude des plus jeunes s’est amélioré avec l’allongement de la scolarité. La proportion de sexagénaires en difficultés fortes ou graves est trois fois plus importante que celle des moins de 30 ans. Mais les difficultés de cette population sont rarement au centre des politiques publiques.
Le niveau d’études est souvent mis en perspective avec l’illettrisme et plus généralement avec les situations de graves difficultés face à l’écrit. À cet égard, 69 % des personnes en situation d’illettrisme n’ont aucun diplôme, 13 % ont obtenu un CAP/BEP et 7 % un CEP. Pour 54 % des personnes en difficultés, les obstacles ont commencé dès l’école primaire. Effet bénéfique de l’apprentissage dès le plus jeune âge, 80 % des personnes ne rencontrant pas de difficultés étaient déjà à l’école à cinq ans. Pour celles se trouvant en situation d’illettrisme, cette proportion n’est que de 60 %. Au cours de leur scolarité, 46 % d’entre eux ont connu entre un et deux redoublements, alors que 71 % de ceux qui sont sans difficulté n’ont jamais redoublé.
La situation vers l’âge de cinq ans est primordiale parce qu’elle constitue la période d’apprentissage des savoirs de base. Cette période peut être troublée par l’environnement social dans lequel elle s’est déroulée. Huit personnes en situation d’illettrisme sur dix sont issues de familles dont le niveau de vie était juste ou qui ne s’en sortaient pas.
La situation des parents par rapport à l’emploi apparaît moins discriminante : 80 % des personnes en grande difficulté avaient des parents qui travaillaient contre 90 % de ceux qui sont à l’aise vis-à-vis de l’écrit.
La langue pratiquée à la maison pendant la phase d’apprentissage peut avoir un impact non négligeable. Pour 70 % des personnes en situation de graves difficultés face à l’écrit, la langue parlée à la maison vers l’âge de cinq ans était principalement le créole. Cependant, la pratique du créole ne peut pas constituer à elle seule un facteur explicatif : un tiers des Guadeloupéens maîtrisant suffisamment l’écrit de la langue française vivaient également, à l’âge de cinq ans, au sein d’une famille où le créole était la langue principale.
L’illettrisme constitue un facteur discriminant vis-à-vis de l’emploi. C’est parmi les hommes ou les femmes au foyer et les autres inactifs non retraités que la part des personnes en difficultés graves est la plus importante : 38,5 % sont en situation préoccupante. Un tiers des personnes sans emploi ont des difficultés importantes. Pour ces deux populations, la rédaction d’un CV ou la lecture d’une offre d’emploi sont pénalisées par l’absence de maîtrise face à l’écrit.
Dans le cadre professionnel, savoir écrire ou lire est indispensable : parmi les Guadeloupéens qui travaillent, 16 000 sont en situation préoccupante face à l’écrit. Ils sont majoritairement employés (47 %) mais également ouvriers spécialisés (33 %) ou ouvriers qualifiés (10 %). Les autres professions sont assez peu concernées par ces difficultés face à l’écrit.
En calcul, 25 % des Guadeloupéens éprouvent des difficultés. Les difficultés avec l’écrit se combinent avec celles rencontrées en calcul : 57 % des personnes ne maîtrisant pas l’écrit sont dans ce cas.
Dans le domaine de la compréhension orale, 84 % des Guadeloupéens de 16 à 65 ans maîtrisent ce moyen de communication ; 16 % ont des performances médiocres. Un chiffre qui grimpe à 39 % parmi les personnes ne maîtrisant pas l’écrit.
Cependant, signe caractéristique, 61 % des personnes en difficulté dans les domaines fondamentaux de l’écrit sont néanmoins à l’aise à l’oral. Parmi eux, 31 % le maîtrisent parfaitement contre 26 % en France métropolitaine et 18 % en Martinique. Ces personnes en graves difficultés face à l’écrit développent des facultés, notamment de compréhension orale, afin de pallier ce manque.
84 % des Guadeloupéens maitrisent la compréhension orale |
||||
unité : % |
||||
Calcul |
Compréhension orale |
|||
Ensemble |
Pour ceux ayant des difficultés graves ou fortes à l'écrit |
Ensemble |
Pour ceux ayant des difficultés graves ou fortes à l'écrit |
|
Source : Insee, Enquête Information et Vie Quotidienne 2008-2009 |
||||
Performances médiocres |
25 |
61 |
16 |
39 |
dont moins de 40% de réussite |
16 |
44 |
5 |
17 |
dont 40 à 60% de réussite |
9 |
17 |
11 |
22 |
60 à 80% de réussite |
54 |
38 |
23 |
30 |
Plus de 80% de réussite |
21 |
1 |
61 |
31 |
Total |
100 |
100 |
100 |
100 |
Téléchargez le tableau au format excel - 14 ko
Encadrés
Selon l’Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme (ANLCI), l’illettrisme qualifie la situation des personnes de plus de 16 ans qui, bien qu’ayant été scolarisées en France, ne parviennent pas à lire et comprendre un texte portant sur des situations de leur vie quotidienne et/ou ne parviennent pas à écrire pour transmettre des informations simples.
L’enquête débute par un exercice d’orientation qui permet une première estimation des compétences de l’enquêté. Il est alors orienté selon ses résultats vers le module d’exercices simples ou celui d’exercices plus complexes. En cas de réussite moyenne, le sujet passe un exercice intermédiaire pour préciser son orientation définitive vers les exercices simples ou complexes.
Les personnes dirigées vers les exercices complexes n’ont pas de difficulté à l’écrit et sont classées selon leur taux de réussite : 27 % des Guadeloupéens ont entre 60 et 80 % de réussite et 20 % ont plus de 80 % de bonnes réponses.
Les personnes qui n’ont pas réussi l’exercice d’orientation sont supposées en difficulté à l’écrit. Un module d’exercices simples, conçu par l’ Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme (ANLCI), permet d’évaluer leurs compétences dans les trois domaines fondamentaux que sont la lecture de mots, la production de mots écrits, et la compréhension d’un texte simple.
Les personnes «en grave difficulté» représentent 16 % de la population guadeloupéenne. Elles se situent en dessous du seuil de 40 % de réussite aux exercices simples dans au moins un des trois domaines ou bien présentent un niveau insuffisant pour passer les exercices. Si le score le plus faible est compris entre 40 et 60 %, les difficultés sont dites assez fortes; s’il est entre 60 et 80 %, les difficultés sont dites partielles. Enfin, les individus ayant plus de 80 % de réussite dans les trois domaines sont considérés comme n’ayant pas de difficulté à l’écrit et sont classés dans le groupe 4 des personnes sans difficulté.
L’enquête Information et Vie Quotidienne en Guadeloupe a été menée par l’Insee en partenariat avec la région Guadeloupe, la Préfecture de Région, la mission régionale de lutte contre l’illettrisme et la Direction du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle.
Les exercices de l’enquête nationale de 2004 ont été élaborés par plusieurs équipes de chercheurs universitaires. L’adaptation des questions à l’environnement socioculturel de la Guadeloupe a été assurée par un comité regroupant des représentants du Rectorat, de la mission régionale de lutte contre l’illettrisme, de centres de formation et d’experts dans le domaine.
L’enquête, réalisée fin 2008-début 2009 en Guadeloupe, auprès d’un échantillon de 1 600 personnes, consiste en un ensemble d’exercices basés sur des situations de la vie quotidienne. Ces exercices permettent de détecter les difficultés pouvant empêcher l’accès à l’information et par conséquent, pouvant rendre plus ardue une intégration sociale.
Chaque personne interrogée passe d’abord un exercice d’orientation en rapport avec une page d’un programme de télévision afin
d’évaluer la capacité à lire des mots isolés et à comprendre un texte court. Si les résultats sont satisfaisants, la personne enquêtée est orientée vers le module d’exercices complexes (faits
divers, articles scientifiques, graphiques, cartes géographiques).
Ces exercices mesurent l’aptitude à sélectionner les informations importantes d’un document et à en établir la cohérence. Si les résultats à l’exercice d’orientation sont faibles, la personne est
soumise à des exercices « simples » pour préciser la nature de ses difficultés. La lecture et la compréhension ont pour support la couverture d’un CD, la production écrite est testée par la
dictée d’une liste de courses. Si les résultats à l’exercice d’orientation sont moyens, un exercice intermédiaire permet l’orientation définitive vers le module d’exercices simples ou celui
d’exercices complexes. Outre les exercices évaluant les compétences à l’écrit, les personnes enquêtées répondent également à des questions de numératie et de compréhension orale portant sur
l’écoute d’un bulletin d’informations. Enfin, des questions relatives au parcours personnel permettent d’identifier des éléments d’explication de ces difficultés.