Radiographie d'un film : LA PREMIERE ETOILE

Publié le 2 Juillet 2009

Ce film dont Lucien JEAN-BAPTISTE est le réalisateur et l’acteur principal s’est manifestement hissé au firmament du succès commercial (sortie fin mars 2009 : plus de 1,7 million d’entrées).

Bravo ! mais une telle performance ne doit pas pour autant paralyser l’esprit critique sans lequel « tout le monde est beau, tout le monde, il est gentil ». C’est à cet exercice-là qu’après deux visions du film, je me suis livré et dont voici de cette analyse quelques éléments.

Comme contribution à l’avancée d’une esthétique cinématographique martiniquaise, LA PREMIERE ETOILE n’a pas émis le signal attendu. Mise à part la direction d’acteurs (1), le (co)scénario (2), le cadrage des plans, les dialogues, le rapport son - image, le montage final… toutes ces opérations qui font (ou non ) d’un film un objet artistique novateur, n’ont pas tenu leur promesse, si tant est que ceux (la productrice, le réalisateur) qui ont permis à ce film d’exister, aient jamais eu l’esprit habité par une telle ambition.

Dans l’hebdomadaire martiniquais, ANTILLA, du 23 – 30 avril 2009, en introduction à un interview de Madame Marie-Thérèse JOSEPH, mère du réalisateur, le journaliste Tony Delsham, dythirambique, qualifie LA PREMIERE ETOILE de « notre premier grand film d’envergure internationale, loin des éternelles élucubrations des écorchés vifs en digestion difficile, déjà oubliés par l’histoire mais vivant, en vase clos, notre dramatique passé, négligeant le présent et le futur. »

On ne peut s’empêcher de penser que ce jet de venin est destiné – entre autres – au réalisateur martiniquais, Guy DESLAURIERS dont ALIKER , son quatrième film, « n’a pas bénéficié du soutien des filiales cinéma de France-Télévision, tandis qu’ ORPAILLEUR, de Marc Barrat (dont la sortie est imminente) a été soutenu par France 3 Cinéma. Son responsable, Daniel Gobineau, s’en explique : « On a eu le scénario d’ALIKER…Sur 350 scénarii, il se fait 22 films. Je dis non une fois par jour et oui deux fois par mois. ORPAILLEUR est un film qui, comme LA PREMIERE ETOILE, vise au-delà de la communauté » (3).

Le responsable de France 3 Cinéma a déclaré que LA PREMIERE ETOILE « vise au-delà de la communauté [antillo-guyanaise de France] »… Quand on passe ce film au crible d’une critique objective, on peut ajouter que ce film effleure à peine ladite communauté dans la mesure où elle est quasiment absente de l’histoire qui nous est contée : un plan furtif (une tour aux balcon-coquilles Saint-Jacques) pour « situer » l’action à Créteil ; le fils aîné de Jean-Gabriel (le père de famille) discutant avec un jeune « black » au pied d’un immeuble de banlieue : la bagarre dans un salon de coiffure opposant - en avant la caricature ! – une Antillaise à une Africaine à cause d’une affaire de… cheveu ; la séquence où Jean-Gabriel convainc un de ses compatriotes de lui prêter sa voiture ; chez la mère de Jean-Gabriel, les trois ravet-légliz ( bigotes, pour ceux qui ne comprennent pas ce que ce mot dit ) ; quelques silhouettes d’allure antillaise dans le bar au PMU, et, en un bizarre clin d’œil, en post-générique, Jean-Gabriel / Lucien Jean-Baptiste, journaliste TV en compagnie d’Audrey PULVAR…

Ceci dit, il ne serait pas juste de faire reproche au réalisateur d’avoir, dans son film, rendu invisibles ceux qu’officiellement on appelle la « minorité visible ».

« Je n’ai pas voulu faire un film expressément antillais »,a-t-il déclaré (4.)…Né en Martinique qu’il quitte à 3 ans pour s’installer avec mère, frères et sœurs, à Paris, tout en affirmant son ancrage identitaire en Martinique, Lucien JEAN-BAPTISTE se revendique - et c’est son droit - « créo-français, créole de France, comme il y a des afro-américains » (5). Et d’ ajouter « Je voulais raconter un souvenir d’enfance : ma mère nous emmenait à la neige Ce souvenir a fait resurgir différents thèmes comme le racisme, les problèmes économiques, intergénérationnels, interculturels mais traités avec une palette d’émotions que l’on aime retrouver quand on va au cinéma » (6). Ces thèmes évoqués en filigrane sont enrobés d’une série de gags dont le rire gras qu’à tous les coups , ils provoquent, risque de faire oublier le fait que ces problèmes, dans la vie, la vraie vie, existent bel et bien, et parfois sur un mode beaucoup moins gentillet.

A des degrés divers, les trois enfants de Jean-Gabriel sont les personnages emblématiques du message essentiel du film : l’aîné qui, sans complexe, ébauche son premier flirt avec la jeune Parisienne rencontrée à la station de ski ; la cadette qui, tout naturellement, chante, sans fausses notes « Que la montagne est belle ! » de Jean Ferrat, et surtout le plus jeune, qui, tel un petit Savoyard glissant sur l’étendue blanche de la neige, décroche sa « première étoile ».

Une fois dépouillé de ses excès d’effets comiques, le film de Lucien JEAN-BAPTISTE, donne à voir une réalité nouvelle qui ira grandissante, celle du comportement de ces enfants nés en France de parents bumidomiens (7) et qui, inexorablement, pour la plupart, sont / seront les rejetons de leur environnement culturel français.

par Daniel BOUKMAN 
(1) Tous les acteurs - amateurs et professionnels - sont excellents sauf peut-être le comédien qui (trop caricatural) joue le rôle de celui qui prête sa voiture à Jean-Gabriel. (2) Marie-Castille MENTION-SCHAAR, la productrice du film, en est avec Lucien JEAN-BAPTISTE la coscénariste. Dans le France-Antilles-Magazine du 6-12 juin 2009, elle a déclaré « La fin du film est ouverte puisque les Morgeot (Bernadette Lafont et Jean Jonasz) se disent prêts à échanger leur chalet contre la maison de famille [de Jean-Michel] en Martinique ». (3) in France-Antilles Magazine du 6-12 juin 2009. (4) in Créola de juin 2009. (5) in Antilla, 23-30 avril 2009. (6) in Créola de juin 2009 (7) Les « bumidomiens » sont ces milliers de Martiniquais, Guadeloupéens, Réunionnais qui, dans les années 1960-70, par le canal du Bureau

Rédigé par Karevé

Publié dans #Cinéma Photo

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