Témoignages de lecteurs du Monde

Publié le 4 Février 2009

Grève en Guadeloupe : "'l'expression d'un mal-être économique, social et identitaire"

En Guadeloupe, les gérants de stations-service ont annoncé, le 3 février, la fin de leur grève, tandis que le mouvement de grève générale contre la vie chère se poursuit dans l'île.
Les internautes du Monde.fr racontent comment ils ont vécu les manifestations des deux dernières semaines.

  • 14 jours de paralysie par Monique Mesplé-Lassalle

Oui, il n'y a plus d'essence. Oui, on a des difficultés à s'approvisionner. Oui, écoles, grandes surfaces, entreprises, administrations sont fermées... Mais pourquoi alors mon pain-beurre quotidien (c'est tout ce que j'ai !) me semble-t-il particulièrement savoureux ? J'ai le sentiment de vivre un moment historique. C'est tout un peuple qui dit que cela suffit. Assez d'un coût de la vie 50 % plus cher qu'en métrople, assez d'engraisser des chefs d'entreprise en majorité blancs, assez de voir se bâtir des fortunes étrangères grâce à la défiscalisation, assez de la discrimination par la couleur de la peau, assez du scandale des monopoles (essence, grandes surfaces). Les revendications me semblent justes et, métropolitaine, je suis dans les manifestations. Pour la première fois, des milliers de personnes sont dans la rue.  Aucune agressivité, un vrai partage. Et un vrai débat, enfin.

  • Révolution "orange" sous les tropiques par Frantz Cognet

Les sociétés sont fermées (pour une grande majorité), plus de carburant, donc peu de véhicules sur la route, les écoles sont fermées : la Guadeloupe est au ralenti, mais la Guadeloupe vit. Je vis et travaille à Pointe-à-Pitre, je continue à faire mes courses dans les petites échoppes, mes factures continuent à arriver par la poste, et bien sûr, je continue à me rendre à mon travail tous les matins. L'ambiance est tout de même "grave" et sérieuse car tout le monde sait que plus rien ne sera plus comme avant. Notre ministre en a sans doute pris conscience : il s'est métamorphosé en un homme attentif et à l'écoute de tous. Les forces de l'ordre sont discrètes, il n'y pas d'émeute, ça ressemble à s'y méprendre à une révolution "orange".

  • Une crise sociétale par Michael Colet

Depuis plusieurs jours, la Guadeloupe ne fonctionne pas, le pays tout entier est à l'arrêt. Cette explosion de colère n'est pas le souffle d'un vent de surface, c'est l'expression d'un mal-être économique, social et surtout identitaire. Toutes les couches sociales du pays sont dans la rue, de mémoire de Guadeloupéen, jamais on avait vu une manifestation aussi longue et d'une telle ampleur, jamais un soulèvement n'avait obligé un gouvernement français, à travers son représentant des DOM, à quitter Paris pour s'installer durablement au cœur d'un soulèvement populaire. Face a cette situation, il convient d'en déduire une triste réalité. Il est incontestable que nos politiciens locaux depuis plusieurs années sont en total décrochage avec la réalité du pays, leurs capacités de lecture quant aux fondamentaux économiques et sociaux de ce pays approchent la nullité.

  • L'émancipation d'une identité guadeloupéenne par Patrick Picot

Comme beaucoup de Guadeloupéens, nous sommes en "panne" non seulement d'essence et de certains autres biens de consommation, mais aussi de perspectives de sortie de crise. Que se passe-t-il ici ? Au départ, je ne l'avais pas compris et je croyais à une simple résurgence de l'activisme indépendantiste de l'UGTG. Même la fameuse chanson populaire qui a dynamisé toutes les manifestations me semblait porter en elle des propos ségrégatifs et anti-coloniaux. J'ai alors davantage écouté et entendu les discussions de mes collègues et de la population.

Un autre esprit critique s'éveillait. Le collectif issu d'un regroupement de plus de 40 organisations, associations et syndicats mettait en avant "l'exploitation" et la vie chère. Les forums de négociations télévisés le soir ont participé à une prise de conscience large dans la population. "La Gwadloup sé tan nou, la Gwadloup sé pa ta yo" dénonçait les profits exagérés de certains et la misère des autres.

J'ai ressenti dans les manifestations une véritable union populaire et fraternelle, une aspiration vers un avenir meilleur à partir d'une prise en main de son propre destin. Oui, le monde dual que la République a maintenu ici depuis la décolonisation et malgré la départementalisation profite plus à certains qu'au peuple, qui aujourd'hui crie sa souffrance. Alors, les différents acteurs sociaux sauront-ils proposer une autre société à ce peuple qui attend aujourd'hui dans une conscience et une identité renouvelée ?

Rédigé par Karévé

Publié dans #Société

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